
PORTRAITS

« Rien n’arrive par hasard. »
Cet été j’ai eu un déclic, la Pride de Genève était magnifique, je me suis senti entouré de bienveillance et je pense que j’avais besoin de cette bienveillance pour avoir le courage de m’accepter et de faire mon coming-out. La sécurité que j’ai ressentie grâce à cette bienveillance m’a donné la force d’aller de l’avant, de me rendre compte que même si je n’étais pas accepté par tout le monde, je ne serais jamais seul. Quand j’ai annoncé à mes parents que je ressentais le besoin de changer de prénom et de transitionner ça a été mal reçu, ils ont eu des propos très violents, surtout mon père. Il m’a dit qu’il fallait que je redescende sur terre et que j’arrête de délirer. Ça m’a fait très mal. Je me suis senti invalidé, rejeté, pas vu pour qui je suis vraiment, alors qu’à mon sens le rôle d’un parent c’est de te soutenir et de t’écouter, pas de te couler. Et il y a quelques jours, quelque chose a changé, le problème a commencé à se régler de lui-même. Mes parents ont dit à mon frère que j’avais une annonce à faire et quand je lui ai dit que j’étais trans* lui et sa femme m’ont tout de suite soutenu, c’était adorable. Ma mère m’a dit qu’elle était fière de moi, fière que je me sois affirmé et d'avoir été honnête. Ce que je ressens c’est que le geste de mes parents montre que quelque part ils sont enfin prêts à me soutenir, j’ai tellement pleuré de soulagement quand j’ai raccroché le téléphone. Des larmes de joie. Je me sens plus proche d’eux maintenant, j’ai une opportunité de pouvoir montrer qui je suis vraiment et de me sentir entouré.
« […] j’ai remarqué que depuis que j’ai fait mon coming-out je suis globalement plus heureuse. »
Quand j’entends que la bisexualité ou la pansexualité n’existe pas, ça me blesse, mais ça me blesse encore plus quand ça vient de personnes qui sont homos. Je trouve ça triste parce qu’ils et elles savent ce que ça faire d’être rejeté.e.s et incompris.e.s. J’ai l’impression que tout le monde m’oublie. Dans mon cas, ce qui est triste ce n’est pas ce qu’on dit sur moi, mais ce qu’on ne dit pas. En plus, dès que je suis en couple, on me catégorise comme hétéro ou comme homo et ça me gêne parce que je me sens invisibilisée. C’est comme si on effaçait mon identité au profit d’une relation. C’est frustrant, je ne suis pas d’accord et je trouve que ce n’est pas correct. Comme beaucoup de personnes queers, j’ai investi du temps et d’énergie pour trouver qui j’étais et essayer de mettre des mots dessus et je me retrouve quand même confrontée à un double rejet : celui des personnes homophobes et celui d’homosexuel.le.s qui ne me considéraient pas comme crédible et légitime. J’avoue que ça m’a fait mal et que, parfois, ça me touche encore. J’aimerais qu’on ait un peu plus de respect les uns pour les autres.
C’est compliqué de naviguer dans ces réalités, mais j’ai remarqué que depuis que j’ai fait mon coming-out je suis globalement plus heureuse. Je me sens mieux, je grandis, je suis de plus en plus fidèle à moi-même et ça me fait du bien. Tout est devenu plus léger et je me prends moins la tête. Je comprends que c’est un parcours qui peut faire peur, parce qu’au fond, on ne sait pas. On ne sait pas comment les choses vont évoluer. Ça peut être plus difficile de se faire des ami.e.s, ça a été mon cas au début, mais quand tu les trouves, tu sais qu’ils et elles t’apprécient vraiment et tu ne te retrouves plus dans de fausses relations basées sur des façades et des non-dits. Ce qui est important, c’est que même s’il y a eu un gros moment d’inconfort, je suis retombée sur mes pattes et je suis aussi prouvée à moi-même que j’étais capable de me sortir de tout ça pour vivre de façon plus saine et sereine.


« Aujourd’hui j’ai plus de potes que je n’en ai jamais eu […] .»
Quand j’avais 15 ans, je suis arrivé au gymnase de Nyon. Je savais que j’aimais les garçons. Au début, j’avais peur de faire mon coming-out, peur qu’on soit violent avec moi, qu’on me tape. Peu de temps après la rentrée, j’ai rencontré plein de personnes, notamment grâce au groupe égalité (groupe queer du gymnase de Nyon). C’était la première fois que je voyais des gens qui étaient queers, chill, et qui assumaient leur orientation sexuelle. C’était tellement bon de pouvoir parler librement. La rencontre avec ce groupe a été un moment charnière pour moi, je me suis dit : « fu*k that s*ht,je me suis teint les cheveux en rouge, je vais être moi et les gens vont comprendre.» On m’a stigmatisé, parce que j’étais perçu comme un garçon efféminé et je me suis senti exclu et rejeté, ça n’a pas été facile pour moi. À la suite de ça, j’ai perdu la majorité de mes ancien.ne.s ami.e.s. Sur le coup, ça a été horrible, j’avais tellement peur d’être tout seul et de le rester. Aujourd’hui, six ans après, la pensée que mon homosexualité soit un frein à ma vie sociale, me fait sourire. J’ai plus de potes que je n’en ai jamais eu et ce n’est ni un secret, ni un mystère que je suis gay. Une belle découverte a été de me rendre compte du côté positif de ma visibilité. Elle fonctionne comme un filtre, les gens sont directement confrontés à ma différence et si ça ne leur plaît pas, ils ne viennent tout simplement pas vers moi. J’ai eu la chance de pouvoir m’entourer de nouvelles personnes qui m’apprécient comme je suis. Maintenant, je traîne dans un milieu plus ouvert d’esprit dans lequel l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne sont pas de l’ordre de la « question » ou du « débat », mais des caractéristiques parmi d’autres qui composent la diversité humaine.
« J’ai été fatiguée de me justifier. […] Je suis plus complexe qu’une case, je sais qui je suis et ce que les autres pensent ne va pas me changer. »
Au moment où j’ai découvert que j’étais attirée par les femmes ça a été difficile. Déjà toute petite, j’ai eu des remarques d’ ami.e.s et de ma famille. On me disait que si je n’aimais pas les hommes et que j’aimais les femmes ce n’était pas grave, que je pouvais le dire. En soi, cette ouverture d’esprit était géniale, le problème n’était pas là. Ce qui me posait problème était qu’on me colle une étiquette et qu’en plus, elle soit fausse. J’ai ressenti tellement de pression ; comme si les gens voulaient que je fasse un coming-out homosexuel et que je rentre dans la case qu’ils m’avaient choisi, sans que j’ai mon mot à dire. Comment est-ce que quelqu’un peut se permettre de me dire qui je suis ? Qui je peux aimer ? Déplacé. Irrespectueux. De mon côté, une question subsistait : qui suis-je ? J’aime les femmes et les hommes. Suis-je bie ? Je ne savais pas comment me positionner. Mon langage s’adaptait aux situations. Célibataire, je disais que j’étais bie et en couple avec une femme, je disais que j’étais lesbienne pour éviter les questions et d’être stigmatisée. Des fois, je parlais de mon côté homo et dans d’autres contextes, de mon côté hétéro. Ceux et celles qui m’entouraient étaient super confus.e.s, on me disait : « Je ne comprends pas, t’es quoi en fait ? ». Je me sentais coincée, et répondre : « Je suis juste moi » ne satisfaisait pas la curiosité des gens. J’ai été fatiguée de me justifier, de me battre pour cette image, de perdre mon énergie, de perdre de vue l’essentiel : ma vie, mes aspirations et mes objectifs. J’ai réalisé que j’étais plus complexe qu’une case, plus qu’un présentoir à étiquette. Je sais qui je suis et ce que les autres pensent ne va pas me changer. Ça a été une sensation tellement positive, j’ai eu l’impression d’avoir compris quelque chose de fondamental. J’ai été tellement soulagée et libérée


« Il n’y a pas de quoi avoir honte. »
En arrivant de l’université, j’ai ressenti le besoin de faire un travail sur moi, d’apprendre à plus m’écouter. Il y a eu un long processus sous-jacent, mais c’est à 19 ans que j’ai eu un déclic : j’étais attirée par les filles. Les premières personnes à qui j’ai fait mon coming-out étaient un groupe de potes queers. Quand j’y repense, c’était assez drôle parce que je n’osais pas leur en parler, je ne sais pas pourquoi j’étais hyper stressée. Tout s’est bien passé. Ma mère, je lui lançais des indices à gauche à droite, mais elle n’a jamais compris. Une anecdote qui me fait encore rire aujourd’hui est que pour mes 20 ans, elle a fait un gâteau aux couleurs de l’arc-en-ciel. Je me suis dit : « c’est bon, elle a compris! ». En fait pas du tout… Ma mère est beaucoup dans la spiritualité et les couleurs correspondaient en fait…aux différents chakras. C’était adorable de sa part, mais sur le coup, je me suis un peu dit : « p*****n, maman » [Rire]. Après ça, j’ai décidé d’en parler à mes parents et ça s’est aussi très bien passé, ils ont été très ouverts, même mes grands-parents ont accueilli mon coming-out avec amour.J’ai aussi dû passer par un processus d’acceptation personnelle. Je suis une personne assez pudique et au début, je ne parlais pas trop de mes crushs. J’étais tombée amoureuse d’une fille en cours et je ne savais pas si elle était hétérosexuelle ou pas. Au bout d’un moment, je lui ai écrit un message pour lui dire. Il s’est avéré qu’elle était effectivement hétérosexuelle, elle m’a répondu que mes sentiments n’étaient pas réciproques, mais de manière très bienveillante. Après, j’avais vraiment peur de la recroiser et qu’il y ait un malaise. Finalement, j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de quoi avoir honte. On s’est même retrouvée pour manger ensemble une ou deux fois. C’était la première fois que j’avouais des sentiments, j’ai passé un cap et ça m’a permis d’évoluer. Quelque temps plus tard, j’ai rencontré une autre fille avec qui j’ai vraiment cliqué, on s’est mise ensemble et on est restée ensemble plusieurs mois. Il y a peu de temps, je me suis rendue compte que je pouvais aussi avoir des crushs sur des garçons et je suis me sens en paix avec cette fluidité.
« Je m’attache à de petites étincelles […] . »
Je suis plutôt de celle qui écoute et conseille, que de celle qui se confie. Cette fois, ça m’a tenu à cœur de partager notre histoire à ma copine et moi.
En mars dernier, nous avons essayé d’avoir un enfant. Le parcours est compliqué en Suisse. On a contacté une association qui soutient les familles homoparentales. Quand on leur a demandé : « Comment nous, on peut faire pour avoir un enfant ? », on n’a pas reçu de réponse concrète. Mon but n’est pas de jeter la pierre, mais je trouve ça fou que même des associations concernées soient démunies face à cette question. On a fini par trouver des réponses par nous-mêmes, mais ce n’était pas l’idéal.
J’étais celle qui devait porter l’enfant et quand le test de grossesse s’est révélé négatif, ça a été très dur. Ma douleur était profonde et j’avais l’impression que ni ma famille, ni mes ami.e.s ne comprenaient vraiment ce que je vivais. J’ai eu la sensation qu’on ne nous prenait pas au sérieux. Ma copine et moi étions au fond du bac, et même notre entourage proche homo nous a dit : « Ouais, mais tu réessayeras ! ». Comme si c’était si simple. Je n’en veux à personne, mais sur le coup nous nous sommes senties très seules et incomprises. Je suis une rêveuse, je me suis beaucoup projetée et tout est tombé à l’eau.
Il m’a fallu un mois pour accepter, pour faire le deuil de cet enfant qui n’était pas là. J’avais besoin d’ouvrir les vannes, de pleurer. Je pense qu’on ne le fait pas assez, parce qu’on nous a conditionné à associer nos larmes avec de la faiblesse alors que c’est faux ; ça fait juste du bien de lâcher prise. J’ai relativisé. Je pense que rien n’arrive pas hasard. Au moment, où j’ai essayé de tomber enceinte, je venais de trouver un emploi parfait. Avec le recul, je me dis que si l’insémination avait fonctionné, ça aurait beaucoup compliqué la situation. Je m’attache à de petites étincelles en me disant que c’est un signe. Ce nouveau job est beaucoup plus stable et épanouissant que celui que j’avais avant. Ma copine et moi n’avons ni perdu l’espoir, ni l’envie de fonder une famille et nous allons réessayer d’avoir un bébé.


« Quand je suis allé.e sur scène, j’ai vu pour la première fois toutes ces personnes qui accueillaient, il n’était pas question d’accepter ou de tolérer, mais vraiment d’accueillir la diversité ; pour moi, c’est ça être bien dans sa peau et être en connexion avec qui on est. »
L’élément catalyseur a été la grève des femmes. J’ai eu l’impression que je n’avais de place nulle part. Le symbole sur les drapeaux, celui du « féminin biologique » (♀), m’a mis face à des questionnements très profonds vis-à-vis desquels je n’ai pas toujours été dans l’accueil. Que veut dire « femme » ? Qu’est-ce que veut dire être une femme ? Est-ce que je dois me justifier dans les endroits de mixité choisie ? Est-ce que je peux militer au même titre que les femmes ? En tant que personne non-binaire je vis des micro-agressions tous les jours. J’ai choisi de devenir un.e militant.e culturel.le, pour ne pas rester dans la colère, la colère face à l’oppression, face aux nomes de genre, face au patriarcat.
J’avais besoin d’air. J’ai décidé que j’allais exprimer mon moi profond sur scène à travers un moyen artistique : le drag. Ça a été un grand travail de dévoilement artistique de quelque chose qui a toujours été en moi. Il y a eu tout un parcours de création, de matérialisation de mes émotions et de mon rapport à mon identité. Quand je suis monté.e sur scène, j’ai vu pour la première fois toutes ces personnes qui accueillaient. Il n’était pas question d’accepter ou de tolérer, mais vraiment d’accueillir la diversité ; pour moi c’est ça être bien dans sa peau et être en connexion avec qui on est. Être artiste queer, c’est pouvoir respirer en étant 100% soi quand on est sur scène. Ma quête d’oxygène m’a donné la force et l’inspiration d’allumer les projecteurs, de mettre des habits et de donner de la couleur à cette facette de mon être que j’ai décidé d’appeler Princesse Genderfuck. Quand j’étais petit.e, à l’école, on m’appelait « princesse » je ne savais pas ce que ça voulait dire, mais j’ai vite compris que ça m’identifiait. Aujourd’hui, c’est moi qui utilise ce mot pour me définir, j’ai repris les rênes, je me suis réapproprié ce terme, cette part de moi qui est la plus sauvage et la plus militante, celle dont je suis le.a plus fier.e.
« C’est compliqué de se trouver, de se comprendre, de se rendre compte qu’on est différent.e de la société hétéronormative et qu’en plus les étiquettes qu’on a à notre disposition ne sont pas super adéquates. »
Les étiquettes, c’est compliqué : on peut les aimer, les détester, les questionner. En tant que personne queer, mon orientation sexuelle et mon identité de genre prennent beaucoup de place dans mon rapport aux autres, mais contre mon gré. Dès que les gens l’apprennent, il y a beaucoup de questions, parfois, blessantes. Chaque question en amène une autre et plus les discussions avancent plus je me sens incompris.e. Ce qui peut paraître un peu ironique, c’est que ça ne m’arrive pas qu’avec des personnes hétéros, mais aussi dans la communauté LGBT. Aucune de ces quatre lettres ne me correspond vraiment, ni pour définir mon orientation sexuelle, ni mon identité de genre. Pourtant, on essaye de me mettre dans une boîte, de me caser, de me rendre adéquat.e par rapport à un système qui réduit ma complexité au point d’en devenir inutile. On en revient à cette question : t’es quoi ? t’es qui ? Du coup, l’étiquette devient indispensable pour éviter les explications à rallonge ; c’est se simplifier la vie. c’est compliqué de se trouver, de se comprendre, de se rendre compte qu’on est différent.e de la société hétéronormative et qu’en plus les étiquettes qu’on a à notre disposition ne sont pas super adéquates. Comment mettre un mot sur ce qu’on ressent, sur qui on est, quand il n’y a pas de mot ? Moi, j’ai cherché et trouvé ce qui me convient hors des sentiers battus.
Ma quête concernant mon orientation sexuelle n’est pas achevée, mais j’ai trouvé ce qui me convient concernant mon identité de genre : Je suis agenre. Mettre un mot sur un non-dit, un mot pour une non-case. Ne pas affirmer de genre, affirmer l’absence de celui-ci. Je ne me sens plus limité.e par des termes qui ne me correspondent pas. Pour moi c’est une auto-identification, une revendication : être agenre, d’une part, mettre un mot, m’affirmer : d’une autre part, pousser les gens à aller voir au-delà de mon genre. Être moi, authentique, libre, me réhumaniser sans compromis.


« Elle m’a dit qu’elle n’avait jamais été aussi heureuse d’avoir un fils […] et qu’elle était prête à m’accueillir comme j’étais. »
Mon première coming-out c’est mal passé. A 14 ans, j’ai dit à mes parents que j’étais homo. Ils ont très mal réagi. J’ai été catégorique et leur ai dit : « si vous êtes homophobe vous me perdez. ». Sur le coup, Ils m’ont viré de la maison. Après, ils sont revenus sur leur décision. J’en ai profité de la situation pour les conscientiser sur les thématiques queers ; ce qui blesse ce n’est pas d’être queer, mais le rejet et l’abandon auquel on est confronté au quotidien parce que les gens sont fermés d’esprit.
Mon deuxième coming-out a été beaucoup plus positif. Le premier a sûrement préparé le terrain. Il y a plus d’un an, je me suis rendu compte que j’étais un homme trans*. J’ai eu peur de le dire à mes parents et de revivre des conflits et une rupture. J’ai choisi de leur écrire une lettre. C’est ma sœur, avec qui je suis très complice, qui leur a donné. Le soir même, j’étais chez moi, avec mes amis proches. J’ai reçu un WhatsApp de ma mère. Elle m’a dit qu’elle n’avait jamais été aussi heureuse d’avoir un fils, qu’elle m’acceptait complètement et qu’elle était prête à m’accueillir comme j’étais. J’ai eu de la chance, ce n’est pas le cas de la majorité des personnes trans* et c’est aussi pour ça que je partage mon expérience. L’émotion était telle que mes amis, ma copine et moi avons fondu en larmes de soulagement. Le lendemain, ma mère est venue à Genève. On a mangé ensemble, elle m’a posé des questions, mais vraiment avec bienveillance. Aujourd’hui, elle est très investie. Elle a lu des livres et regardé plein de documentaires sur la transidentité ; elle va aussi au groupe parent du Refuge à Genève. Avec mon père ça a été plus compliqué au début, mais maintenant, il m’appelle Léon et me genre correctement (au masculin). Ma dysphorie étant très intense, il était vital pour moi de pouvoir, au plus vite, transitionner médicalement. Grâce au soutien de mes parents, j’ai pu lancer les procédures rapidement et commencé la testostérone quelques mois après mon coming-out.
« Il ne faut pas avoir peur d’être seul. »
Je pense qu’il y a un gros truc qui se joue durant l’adolescence. Je suis valaisan et j’ai grandi là-bas. Pour moi, ça a été très vite très clair que j’étais gay et ce qui a été très vite tout aussi clair était que ça n’était pas du tout socialement acceptable. J’ai vraiment été arraché à l’insouciance de l’enfance : à partir de là, tout ce que je faisais était basé sur des stratégies permanentes pour cacher à mon entourage que j’étais homo. Ces stratégies sont multiples et vastes, ça passe de comment gérer les fêtes de famille à simplement comment éluder des questions dans le quotidien. C’est allé jusqu’à des stratégies d’auto-sabotage, j’ai fait beaucoup pour ne pas être désirable de peur de me faire draguer et que mes réactions ne puissent éveiller des « soupçons ». Il fallait toujours que je garde le contrôle. Même dans le choix de mes études, j’ai choisi une formation qui n’existait qu’à Lausanne dans l’espoir de trouver une coloc' sur place et de pouvoir partir du Valais. Un peu plus vieux, je suis parti faire un stage à Paris. Je voulais voir ce que ça me ferait d’être loin de tout le monde, je voulais me confronter à la possibilité que mon coming-out se passe mal et que je me retrouve isolé. Je voulais me tester, voir si je pouvais faire face au pire.
Ce voyage m’a permis de prendre mon indépendance. D’une part, j’ai enfin pu laisser tomber toutes ces barrières et stratégies que j’avais installées en Suisse. La scène gaie est beaucoup plus vaste et diverse à Paris, ce qui m’a permis de faire mes premières expériences sexuelles. D’une autre part, j’ai trouvé beaucoup de choses en moi, dans la solitude. Il ne faut pas avoir peur d’être seul. J’ai l’impression que la solitude a une connotation très négative, alors qu’elle permet beaucoup d’introspection et de se recentrer sur soi. Elle permet d’aller chercher ce qu’il y a de créatif et d’authentique en nous. J’y ai trouvé du courage et des manières de me réinventer qui ont fait que j’ai commencé à me faire davantage confiance.


TW : [violences médicales]
« Être intersexe, c’est un vécu, ce n’est pas seulement un taux d’hormone et/ou des "ambiguïtés physiques", c’est aussi des violences sociales et médicales qu’on se prend dans la gueule. »
Tout est parti d’une question de conformisme aux normes de genre. Ma mère m’a emmené à l’hôpital de l’enfance pour qu’on me prescrive la pilule contraceptive à cause de ma pilosité qu’elle considérait comme excessive pour une personne AFAB (= assigné.e femme à la naissance). J’étais harcelé à l’école à cause de ça, du coup, je pensais qu’on me prescrirait une pilule et que ça me faciliterait la vie. Cette année-là, on m’a fait une centaine de prises de sang, parfois plusieurs fois par jour. Je me suis senti comme une souris de laboratoire. J’avais peur, on m’a dit que j’avais un problème médical et des risques de cancers. Chaque fois que je venais, on me demandait si j’avais des relations sexuelles et si je prenais de la drogue. Il y a eu un examen gynécologique que j’ai très mal vécu. Deux personnes ont regardé entre mes jambes en baragouinant du jargon médical. Tout se passait comme si je n’étais pas là. Je ne me suis pas senti pris en considération, comme l’objet d’une curiosité mal placée, d’une incompréhension. Vivre ça à 13 ans c’est dur. Tabou. Le personnel soignant ne mettait pas de mot sur les choses. J’aurais voulu qu’on me dise : «T’as un taux de testostérone élevé, c’est une forme d’intersexuation, on va regarder s’il y a des risques pour ta santé et après, on va en discuter. » Ce n’est pas ce qui s’est passé. Après tous ces examens on m’a donné la pilule et un autre médicament avec une liste énorme d’effets secondaires . J’ai pris ces cachets pendant des années. J’ai découvert, après avoir vu un autre médecin, que ce médicament était inutile dans mon cas, ma santé n’était pas en jeu, alors que j’aurais pu développer des effets secondaires. Être intersexe, c’est un vécu, […], c’est aussi des violences sociales et médicales qu’on se prend dans la gueule. Quand il y a des tabous, on ne nous transmet pas les informations correctement, il n’y a pas de réel choix. On ne peut pas prendre les décisions qui nous concernent en connaissance de cause et ce n’est pas juste.
PARTIE 2
« C’est ultra thérapeutique pour moi de m’affirmer dans ce que je suis, j’ai envie de le dire, d’en parler et d’aider. »
Le mot intersexe, je l’ai appris tout seul, sur les réseaux sociaux, par le biais de témoignages. Au début, je me pensais allié et je voulais m’éveiller sur le sujet, être prêt à accueillir un coming-out si quelqu’un de mon entourage s’avérait être intersexe. Je n’avais absolument pas prévu que cette personne ça serait moi. J’ai découvert que l’intersexuation ne se limitait pas du tout à des "ambiguïtés physiquement" visibles. Elle peut être, par exemple, hormonale et/ou chromosomique. Il y a une immense diversité qui échappe complètement à ce qu’impose la binarité. Je savais que j’avais un taux de testostérone élevé par rapport aux critères médicaux féminins et que c’était une des causes de ma pilosité. Je me suis rendu compte qu’il y avait un truc et j’ai commencé à faire des liens avec mon passé. Les pièces de cet immense puzzle ont commencé à se mettre en place et petit à petit, j’ai réussi à donner un sens à mon vécu. J’ai brisé la spirale du silence dans laquelle je m’étais installé par méconnaissance et ai parlé avec des ami.e.s proches. J’ai osé et ça m’a fait du bien, je me sens plus en paix. Aujourd’hui, je sens que c’est mon devoir de partager, à mon tour, mon histoire parce que c’est un sujet méconnu et c’est important d’en parler. Je veux aussi que les personnes concernées se sentent moins seules, entourées et rassurées. On n’est pas malade, on n’est pas bizarre, on est très bien comme on est. C’est ultra thérapeutique pour moi de m’affirmer […], d’en parler et d’aider. J’ai envie de participer à lever ce tabou, de mettre des mots sur qui je suis, sur qui nous sommes. J’ai pris conscience que d’autres personnes traversent les mêmes choses que moi ; je ne suis pas seul et c’est un message très important : Tu n’es pas seul.e ! Il y a des groupes de discussions qui existent avec des gens qui partage cette même particularité et aussi des comptes comme @intersexe_info, tenu par une personne intersexe et trans* sur Instagram et @PommVert sur Twitter.


« On est tous un peu passé par les mêmes chemins.»
Enfant, voir mes parents marié me faisait rêver, je voulais la même chose : un chez-moi, une femme, des enfants. Ma mère avait une amie qui vivait en couple avec sa copine. Un jour, l’une d’elles est venue me chercher à l’école : jean, débardeur, cheveux court, la tête haute. J’avais un peu le même style, mais avec 20 ans de moins. La voir s’assumer comme ça m’a mis des étoiles dans les yeux ; être adulte et rester soi-même était possible.
Mes premiers pas dans le milieu LGBT ont été difficiles. Il y avait beaucoup de superficialité et de rivalité. Ce que je voulais c’était être avec des gens qui pourraient me comprendre, créer de vrais liens et je suis entrée dans ce jeu, dans cette compétition de qui choppe le plus, qui est la plus cool, la plus désirée, alors que ça ne me correspondait pas vraiment. Rencontrer Dorine a un peu tout changé, je sens qu’on est sur la même longueur d’onde et qu’elle aimerait autant que moi fonder cette famille dont j’ai rêvé depuis que je suis petite.
Avec les années, j’ai repensé à ce que j’avais vécu dans la communauté lesbienne, mais mon regard a changé. Il y a eu tellement de conflits, certains se font encore la guerre aujourd’hui. On se querellait sur qui couchait avec qui, qui sortait avec qui, qui avait dit quoi. Un peu dommage peut-être ? Beaucoup d’entre nous ont eu des parcours difficiles et il y en a pour qui ce n’est pas fini. Beaucoup n’étaient pas bien dans leur peau, certains ne le sont toujours pas. Ces réflexions me sont venues tardivement et je sais que je ne suis pas la seule à regarder en arrière sans regret, mais avec quand même un petit peu d’amertume. On est tous un peu passés par les mêmes chemins, on sait à quel point ça fait mal d’être jugé, discriminé, incompris et j’en passe. Alors, pourquoi est-ce qu’on se met des bâtons dans les roues ? On pourrait se concentrer sur ce qui nous rassemble, plutôt que sur ce qui nous divise. Avoir un peu plus de bienveillance. Des différences il y a en a toujours eu et il y en aura toujours, mais c’est la richesse de notre diversité et son droit d’exister qui est la base sur laquelle s’est construite notre communauté.
« Je ne suis pas juste lesbienne. Je suis une femme péruvienne, lesbienne, qui vit à Lausanne. […] mon histoire, en tant que personne queer, ne peut pas être dissociée du fait que je suis racisée et issue de l’immigration. »
Pendant mon adolescence, j’ai vécu au Pérou, sans ma mère. Elle est partie en Suisse quand j’étais enfant et ne pouvait pas quitter le pays sans prendre le risque de ne plus pouvoir y réentrer. Jusqu’à mes 20 ans, on a communiqué par téléphone.
J’avais l’impression qu’elle ne me connaissait pas, qu’elle ne connaissait pas la vie que j’avais construite à Lima, après m’être rendue compte de qui j’étais : mon chez-moi où je vivais avec ma copine et mes ami.e.s proches au courant de mon homosexualité. La distorsion entre ces deux mondes ne me laissait pas tranquille, ce n’était pas possible pour moi que mes ami.e.s ne me connaissent mieux que ma propre mère. Le besoin de me dévoiler et de partager cette part de moi avec elle avait grandi jusqu’à ce que je ne puisse plus l’ignorer. Je ne savais pas si on allait s’entendre et si elle allait m’accepter. J’ai quand même décidé de déménager en Suisse. J’ai choisi de continuer mes études à Lausanne pour retrouver ce qui me manquait à Lima, pour me reconnecter avec ma famille, pour les rejoindre elle et ma sœur. Je ne suis pas juste lesbienne. Je suis une femme péruvienne, lesbienne, qui vit à Lausanne. […] mon histoire, en tant que personne queer, ne peut pas être dissociée du fait que je suis racisée et issue de l’immigration.
C’était difficile de se retrouver et de vivre ensemble après toutes ces années. Pour partir sur de bonnes bases il fallait que je brise un tabou : que je m’affirme en tant que lesbienne. Notre complicité est un " work in progress ", ça prend du temps, mais ça en vaut la peine. Nos conversations sont plus spontanées, maintenant, je me sens plus libre de lui parler, d’une pensée, d’un regard échangé, d’une fille. Ça peut paraître trivial, mais ce sont ces petites choses du quotidien qui témoignent de la connexion que je suis en train de recréer avec elle.


« Virginie Depentes, Paul Preciado et Victoire Tuaillon arrivent sur scène, on les voit et là vraiment dehors ça hurle […]. Moi ce qui m’a méga touché c’était la culture de la révolte qu’on a pas du tout en Suisse […] , on était ensemble face à une institution […] qui nous déplaisait. »
Festival les Créatives, novembre 2019, une conférence. Un événement qui concerne nos lectures, des gens qu’on a envie d’entendre, des gens importants dans la culture queer. Cette salle de l’UniGe est trop petite. J’arrive enfin aux portes et me retrouve au milieu d’un tourbillon d’agitation. D’un côté, les sécu’ nous disent que c’est plein et essayent de fermer les portes. De l’autre, nous, plusieurs centaines de personnes déterminées à entrer. On les empêche de les fermer : cette conférence se fera avec tout le monde ou ne se fera pas.
Les organisateur.rice.s proposent de faire un Facebook live, mais ce n’est pas ce qu’on veut. On veut être là, du contact, une vraie présence collective, un moment queer, sans intermédiaire. Virginie Depentes, Paul Preciado et Victoire Tuaillon arrivent sur scène, on les voit et là vraiment dehors ça hurle […]. Moi ce qui m’a méga touché c’était la culture de la révolte qu’on a pas du tout en Suisse […], on était ensemble face à une institution […] qui nous déplaisait.
On a trouvé un compromis. Une partie des gens à l’intérieur, le reste qui se contente de Facebook live et après 45 minutes, on échange.
Ce chassé-croisé de salle chamboule les codes qui régissent normalement ce genre de discussions. La linéarité du temps est éclatée ; passé, présent et futur entrent en collision dans un ballet d’intervalles réarrangés au tempo de l’instant. Victoire Tuaillon jongle entre, résumer la première partie du débat au deuxième groupe et son fil de questions. La qualité des échanges est rafraichissante. Magnifique. Micheline Calmy-Ray assise sur les escaliers en train d’écouter la conférence avec attention. On apporte des whiskies à Depentes, Preciado et Tuaillon. Le temps défile vitesse grand V. J’ai ressenti le plaisir de la subversion, le plaisir d’être un grain de sable qui fait s’enrayer une grosse machine, un système.
« Juste le fait d’être me rend activiste. »
J’aime puiser mon pouvoir dans le fait d’être et d’évoluer dans des espaces où je suis vu comme différent. J’aime ce challenge, cette résistance. Ça m’apporte de la satisfaction de côtoyer des gens qui ne vivent pas ma vie et ma conscience, qui ne sont pas queers. Juste le fait d’être me rend activiste, j’essaye de changer les esprits non pas depuis « la marge », mais depuis les espaces épicentraux de création et de reproduction des normes hétérosexistes. Parfois, ça me pèse un peu de ne pas avoir un groupe d’ami.e.s queer « fixe ». Il ne s’agit pas, que de partager une identité sexuelle, mais de créer des relations qui impliquent le partage d’une conscience commune de la convergence de nos vécus, de leurs inscriptions dans une société qui est hétéronormée, ainsi que des conséquences qui en découlent sur nous et notre rapport aux autres. Je ne me considère pas, pour autant, comme « hors milieu », je suis en contact avec des associations et, parfois, participe à des projets ou événements en lien avec des thématiques LGBTQIA+.
Je milite rarement dans la rue et suis plus à l’aise avec l’activisme digital, ça fait, d’ailleurs, quatre ans que je suis actif sur les réseaux sociaux. J’y partage des chose très personnelles sur mon parcours de vie – qui comporte son lot de hauts et de bas – mon intérêt pour la cuisine et sur comment la spiritualité et le yoga m’ont aidé à devenir de plus en plus moi-même. J’aime trouver mon pouvoir dans ce récit et dans la transparence avec laquelle je partage mon vécu. Ce que j’essaye de montrer aux gens c’est que ce à quoi on doit revenir, c’est l’acceptation de soi et des autres, et que l’un va avec l’autre. On en vient à se détacher des étiquettes ce qui affectent positivement notre manière de nous percevoir, de percevoir les autres et de les aimer.


« J’étais mariée avec un homme […] pour moi, ma vie était rangée. »
J’ai envie de partager mon vécu parce que peut-être que des gens vont s’y reconnaître et aussi parce que j’aime participer à visibiliser ce que la société ne considère pas comme « normale ».
J’étais mariée avec un homme, quand j’ai connu ma copine actuelle. Je n’avais jamais eu l’occasion de me poser la question de si les femmes pouvaient me plaire ou pas. J’ai rencontré mon ex-mari, on voulait se marier, fonder une famille, pour moi, ma vie était rangée. Après, six ans en couple et un an de mariage avec lui, je l’ai rencontré elle. J’ai eu un déclic, une porte s’est ouverte et j’ai pris conscience que je n’étais pas hétéro. Ça n’a pas été facile de me rendre compte à 25 ans qu’en fait j’étais attirée par les femmes. Ça a aussi été compliqué au niveau familial. Ma mère me soutient, mais quand j’ai fait mon coming-out elle a pleuré. Elle avait peur qu’on me fasse du mal, elle avait conscience qu’on est dans une société encore intolérante. Mon frère n’a pas accepté et on ne se parle plus. Mes grands-parents ne savent pas et je pense que je ne leur dirai jamais.
Avoir peur de la manière dont les choses vont évoluer je le comprends, je l’ai vécu. J’ai reçu des reproches et des remarques, et j’ai aussi perdu des gens. En plus, je suis quelqu’un qui a besoin d’être rassuré au quotidien, avant de prendre des décisions, je demande toujours l’avis de mes proches, de ma mère ou de mes ami.e.s. Là, pour la première fois, j’ai fait ce que moi je considérais comme juste, sans accorder d’importance à l’avis des autres, pour la première fois, malgré cette peur, je me suis écoutée. On m’a dit que j’étais courageuse, mais pour moi c’était une nécessité : j’avais besoin d’écouter mon cœur, de m’accepter et de vivre en accord avec moi-même.
Être heureuse est le plus important, parce que de toute façon les gens vont parler et auront toujours quelque chose à dire sur ce qu’ils ne comprennent pas. Maintenant, je suis heureuse, amoureuse, et en couple avec une personne que j’aime, comme je n'aurais jamais pu le penser possible avant.
Facette 1, poème – La colère
Colère dans mon cœur, Mâchoire serrée,
Poing dans ma poche sur le point d’exploser,
Sentiment d’impuissance face au privilèges de ton ignorance,
Témoin de mon silence, sous la surface une tempête de larmes en puissance.
Rage.
Dans mon cœur.
Parce que.
Injustice.
Tes mœurs imposteurs.
Violence.
De tes mots.
Poids.
De mes maux.
Fâché.
Contre le monde.
Fâché.
Contre tout le monde.
Exploser ta tête contre un mur, pour faire cesser tes murmures.
Exploser ta tête contre un mur, pour faire cesser cette censure.


Facette 2 – Les questions & les réponses
« Tu peux pas expliquer tout à tout le monde, c’est trop fatiguant. »
Les personnes qui ont la chance de se sentir en adéquation avec leur identité et/ou leur corps n’ont pas conscience de l’impact de leurs questions et de leurs réactions sur nous. Tellement de gens ne savent pas ce que c’est d’être trans et/ou non-binaire.
À chaque fois, je dois expliquer mon identité en prenant le risque qu’on ne me croit pas, qu’on se moque. Qu’on me fasse me sentir illégitime alors que je vis tous les jours en étant conscient que la société ne reconnait pas la non-binarité, ni au niveau administratif, ni dans le langage, nulle part. Je suis dans un cycle sans fin de réaffirmation de mon identité, si je veux être vu et qu’on respecte mes pronoms je dois me justifier. Chaque nouvelle rencontre est rythmée par des questions hyper personnelles et intrusives, qui sont en plus souvent les mêmes. Une nouvelle personne me demande quelque chose, pour elle, c’est la première fois, pour moi la 20ème fois dans le mois. Les gens ne se rendent pas compte de la pression que ça met. Tu peux pas expliquer tout à tout le monde, c’est trop fatiguant. Spoiler alert : je suis une personne, pas une encyclopédie. Ma colère n’est pas dirigée personnellement contre toi qui me lis ou les personnes que j’ai croisé par le passé. Le problème c’est que ces comportements montrent comment les personnes non-binaires sont perçues par la société et à chaque fois ça vient réveiller une blessure, la blessure de l’incompréhension, des discriminations, de l’invisibilisation...
Un moyen de stopper ce cycle et d’être un.e bon.ne allié.e c’est juste de faire passer mon bien-être avant ta curiosité, même si elle te brûle les lèvres. Si tu n’y connais rien et que tu rencontres une personne qui te dit qu’elle est non-binaire, tu peux lui demander ce qu’est la non-binarité, ses pronoms, mais évite d’aller plus loin. Respecte les limites. De toute façon, si la personne veut partager plus elle le fera. En étant plus souple dans ta manière de penser et de te comporter, tu peux faire beaucoup de bien autour de toi.
« Personne ne sait ce que c’est l’aromantisme. »
J’ai connu ce terme en faisant du jeu de rôle sur un forum. J’ai rencontré une personne qui m’a fait découvrir l’aromantisme, le mot et ce qu’il représentait.
On vit dans une société qui est amatonormative, c’est-à-dire que les relations amoureuses et romantiques sont considérées comme un but ultime dans la vie et sont mises sur un piédestal il y a une injonction à correspondre à ce schéma. Si on n’est pas en couple on est considéré comme incomplet.e, comme si on ne pouvait pas être heureux.se célibataire.
J’ai ma place dans la communauté LGBTQIA+. D’ailleurs, je suis sûre qu’il y a des aspects de ma vie dans lesquels d’autres personnes de nos populations pourraient se reconnaître.
C’était un cheminement de mettre des mots sur les choses et de me sentir légitime ; je me suis longtemps sentie comme une extraterrestre. On te donne l’impression qu’il y a un truc qui cloche chez toi ou que « t’as pas trouvé le bon », combien de fois j’ai voulu répondre « ta gu***e », parce que c’est une négation de ce que je vis et de ce que je ressens.
Je me suis retrouvée à faire de la pédagogie imposée à des personnes qui ne connaissaient pas le sujet et qui m’ont traité comme si j’étais une encyclopédie qui leur devait des explications.
Un des pires clichés sur les aro pour moi, c’est qu’on est présenté comme des cœurs de pierre ou des personnes qui par définition ont un traumatisme, comme si on ne pouvait pas ressentir d’amour, alors que non. Il y a plein de formes d’amour différent et l’amour romantique n’en est qu’une des nombreuses déclinaisons.
Il y a plusieurs raisons qui ont fait que j’ai voulu témoigner. Premièrement, personne ne sait ce que c’est l’aromantisme et il y a très peu de ressources sur ce sujet. Deuxièmement, aromantisme et asexualité sont souvent abordés ensemble, alors qu’on peut être l’un, sans être l’autre : c’est mon cas.
J’ai aussi créé un compte Instagram (@plante_aromantique) pour visibiliser cette thématique, parce que même s’il y a d’autres lettres de l’acronyme LGBTQIA+ qui sont plus activement visées par des discriminations violentes, être invisibilisé n’est pas un privilège.


Partie 1
[…] Mais est-ce qu’ils se battraient aussi pour nous […] ?
J’ai la crainte que mes propos ne soient instrumentalisés ou détourner, mais il faut parler de l’homophobie et de la transphobie présentent dans les communautés noires en Suisse et du racisme dans la communauté LGBT+.
D’un côté, je ressens un rejet des personnes queer, dans la communauté noire.
Avec le mouvement Black Lives Matter celle-ci est montée dans les rues. On s’est battu ensemble contre les violences policières et contre le racisme, mais est-ce qu’ils se battraient aussi pour les personnes noires et queer ?
En tant que noire, je me demande où se situent nos racines ; qu’est-ce qui est réellement constitutif de nos identités et de nos cultures ? J’ai l’impression que certain.e.s d’entre nous s’accrochent à l’homophobie et la transphobie en pensant que ça fait partie de nos valeurs traditionnelles, alors que non.
À Haiti – d’où je suis en partie originaire – beaucoup de gens pensent comme ça parce qu’ils ne se rappellent que de lorsque le christianisme y a été implémenté. En réalité, c’est en partie le christianisme qui a importé les LGBT-phobies ici, par le biais du colonialisme. Être non-hétérosexuel.le et/ou non-cisgenre, ainsi que l’ouverture progressive des mentalités à ces thématiques en Europe est perçu comme "un truc de blanc", alors que non. Le colonialisme a fait des ravages et c’est compliqué de se construire en étant à l’intersection de ces thématiques.
D’un autre côté, le racisme dans la communauté LGBT+ en Suisse est aussi une réalité.
Elle descend dans les rues pendant la Pride pour le droit d’être et d’aimer, mais est-ce qu’elle se battrait aussi pour les personnes queer et noire.
On devrait visibiliser plus de personnes qui sont racisées et queer, parce que c’est un réel combat. C’est dur de trouver sa place dans tout ça. Je me pose beaucoup de questions : quel est mon safespace, quelle est ma communauté, comment exprimer tout ça ?
L’identité est plurielle. Être moi-même ça veut dire accepter la pluralité de cette configuration. Je ne suis pas métisse ou queer, je suis métisse et queer. Il y a un clivage et il est nécessaire de créer un pont entre la communauté noire et la communauté queer.
Partie 2
« Pour nous, ce n’est pas fini. »
Le combat queer en Suisse est hyper important pour moi, c’est une part de mon identité, mais l’année passée j’ai été vraiment secouée par les questions raciales.
J’étais déjà dans l’afro-activisme, mais ce qui s’est passé avec le décès de George Floyd a provoqué une surcharge d’infos ; il y a eu un tsunami. La violence, la peur, la tristesse, les remises en question. Le débat est devenu très public et a dépassé les frontières des USA, tout beaucoup de choses sont remontées à la surface. Les discussions se lancent et tu te rends compte en cours de route qu’une personne que tu croyais safe ne l’est pas : comment naviguer nos amitiés avec les personnes blanches, qui est safe et qui ne l’est pas ?
T’es au plus bas et, en plus, il faut gérer l’injonction à la pédagogie, expliquer les choses aux gens, alors que t’as pas l’énergie parce que t’as été pris dans un raz-de-marée collectif. J’avais un système de soutien, mais ça a été lourd. Il faut se rendre compte que ces événements ont eu un impact sur la santé mentale des personnes afro-descendantes. Les médias suisses ne parlent plus du BLM, mais pour nous ce n’est pas fini ; certain.e.s d’entre nous sont encore en train de gérer les retomber de tout ce qui s’est passé, de tout ce qu’on a vu, entendu et ressenti.
Il y a eu des conflits avec une partie de mon entourage blanc, des amitiés se sont brisées, alors que ma prise de distance n’était pas personnelle. J’avais besoin de me ressourcer et de m’entourer – temporairement – de gens qui avaient ressenti et vécu la même chose que moi. A côté de ça, il y a eu des gens qui ont bien réagi et qui m’ont laissé l’espace dont j’avais besoin et aussi de belles nouvelles amitiés qui se sont créées. J’avais envie de témoigner aussi pour que des gens puissent me lire et se rendre compte qu’ils/elles se sont pas seul.e.s. Noire et queer, j’existe ; noir.e.s. et queer, nous existons.


« J’essayais tellement de ne pas prendre d’espace et d’être invisible […]. »
Enfant, j’étais beaucoup sur ma planète et je ne me rendais pas compte des normes de la société. Je pensais que tout le monde se considérait comme neutre, pas comme homme ou femme et que c’était normal. Je pensais aussi que tout le monde aimait tout le monde et que c’était totalement accepté. Chez moi le climat était hostile, mon père avait des propos violents envers les personnes LGBTQ+ et je sentais qu’en fonction de ce qui se révélerait de mon identité ou de mes attirances, je n’étais pas en sécurité. Vers 14 ans, la brutalité de ses propos m’a encore plus blessé, parce que j’ai réalisé qu’elle était destinée à une communauté à laquelle j’appartenais.
Ce qu’on peut appeler mes différences allaient au-delà des questions de sexualités ou d’identités de genre. La première chose que j’ai verbalisée c’était que même si j’essayais de m’intégrer avec les autres enfants, j’avais une manière de réfléchir qui était différente ; je me sentais en décalage. Plutôt introverti, j’aimais lire et être au calme. En plus, je ne me sentais pas en adéquation avec le système scolaire. C’était difficile d’essayer de me fondre dans la masse, mais en même temps j’enviais tellement la normalité, d’être comme tout le monde, pour que ma vie soit plus simple. J’essayais de ne pas prendre d’espace et d’être invisible. Tu te dis que si tu fais des efforts tu vas réussir à rentrer dans ces normes. Avec le temps, tu te rends compte que ce n’est pas une question de volonté, on est comme on est.
Ma mère ne comprenait ni ma non-binarité ni mes goûts vestimentaires, alors que moi je ne lui demandais pas de comprendre, mais de m’accepter comme j’étais. La personne tu la connais, tu connais sa personnalité, tu sais qui elle est et ce qu’elle aime et c’est ce qui devrait compter le plus. Ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas quelque chose que ça n’existe pas.
Si on regarde les choses de manière rationnelle, un vêtement ça sert à ne pas être tout nu. Après, la mode c’est aussi de l’art, on peut exprimer son identité au travers de nos habits, mais ça ne devrait pas définir notre identité de genre ou notres orientation sexuelle.
« C’est aussi pour ça que je suis devenue bibliothécaire, pour partager mes lectures [et en] conseiller [qui sont] queer. »
La lecture a une place très importante dans ma vie, j’aime lire depuis mon enfance. Quand j'étais plus jeune, il n’y avait pas autant de livres avec des personnages LGBT+ et c’était plus difficile d’en trouver qui abordaient des thématiques féministes ou intersectionnelles. Aujourd’hui, la production éditoriale est beaucoup plus diversifiée et plus accessible.
Le moment où j’ai terminé mes études a coïncidé avec la prise de conscience que j’étais queer. Je pense que j’ai découvert cette part de mon identité de manière tardive justement parce qu’avant je n’avais que peu de représentations. C’est pour ça que j’ai créé le compte @gazing_on_the_masque_of_snow sur lequel je partage ma passion pour la lecture en recommandant des lectures féministes et/ou queer que j’ai trouvé enrichissantes ; j’aime leur donner de la visibilité. On peut vite être un peu perdu dans tout ce foisonnement et ne pas savoir par quoi commencer. Il peut aussi arriver de tomber sur des livres problématiques qui ne sont pas recommandables parce qu’ils perpétuent des stéréotypes et peuvent blesser nos communautés. En y réfléchissant, je pense que c’est le genre de compte que j’aurais voulu trouver sur les réseaux sociaux plus jeune. C’est aussi pour ça que je suis devenue bibliothécaire, pour partager mes lectures [et en] conseiller [qui sont] queer. C’est un moyen de se renseigner sur des sujets qui nous touchent directement ou pas. Ça permet aussi de créer de l’empathie pour un personnage qui nous touche parce qu’il nous ressemble ou parce qu’il nous ramène à quelque chose qu’on a traversé. En plus, si l’on n’a pas les moyens d’acheter des livres, la bibliothèque nous permet de les emprunter.


Partie 1
« Je ne comprenais pas, elles ont vécu la discrimination ; pourquoi elles font ça ? »
L’été dernier, je me suis mise sur une application de rencontre, j’avais l’impression de débarquer dans un monde où je ne connais pas les codes et j’ai eu mon premier date avec une femme. J’étais tellement stressée et en même temps super excitée. Le courant passait super bien. Je voulais partager avec elle que mes attirances étaient variées, que je n'étais pas exclusivement attirée par les femmes. J'avais ça sur le cœur, pour moi c’était positif et important, j’avais mis tellement de temps à m’accepter et maintenant je me sentais bien. L’ambiance a changé. Elle m’a demandé si j’avais déjà couché avec une femme. Il n’y avait pas que ses mots, il y avait la manière. Elle s’était fermée, j’ai ressenti de la condescendance et du jugement de sa part. Je me suis sentie mal et j’ai répondu que non, presque en m’excusant. Je me sentais tellement illégitime à cause de mon manque d’expérience. Je n’avais qu’une envie c’était partir, quelque chose s’était cassée, je me suis sentie rejetée.
Quelque temps après, j’ai eu un rendez-vous avec une autre femme. Tout a bien commencé et d’un coup elle m’a dit : « imagine je suis la première femme que tu date » en rigolant. Pour elle, c’était sûrement une plaisanterie anodine – quoi que ? – mais moi ça m’a reconnecté à mon expérience précédente, qui m’avait beaucoup blessée. Elle a essayé de se rattraper, mais la situation m’avait bloqué.
Nouveau date. Cette fois elle est partie du principe que j’étais lesbienne et je n’ai pas eu le cœur d’avoir de nouveau cette conversation.
J’ai supprimé cette application, je ne voulais plus rencontrer de femmes – ni d’hommes d’ailleurs – et je me suis renfermée. J’en ai parlé avec une amie queer et ça m’a fait beaucoup de bien, j’ai réussi progressivement à mettre des mots sur ce que je ressentais. J’avais besoin de ressentir la colère et l’incompréhension générée par ma première expérience. Je ne comprenais pas ; elles ont vécu la discrimination, pourquoi elles font ça ?
Partie 2
« J’ai mis tellement de temps à accepter mon attirance pour les femmes, je n’allais pas nier mon attirance pour les hommes. »
[On parlait coming-out] : c’est assez fou de se dire qu’on passe par là, je pense que c’est important de plus le valoriser et le célébrer. C’est un truc de ouf qu’on fait, c’est une si belle preuve d’amour envers nous-mêmes — en tout cas c’est comme ça que je l’ai vécu. Je ne me suis pas acceptée pendant une vingtaine d’années et là j’étais prête à perdre les gens qui étaient autour de moi, parce que je refusais de continuer à me perdre moi-même. C’est quelque chose que j’ai mis en place vis-à-vis de tout le monde, dans ou hors de la communauté LGBT+. En dehors, il y a le risque de l’homo - ou de la biphobie. En dedans, être attirée par les hommes, ça ne passe pas toujours. J’ai dû jouer ce jeu, prétendre que j’étais presque soûlée d’être attirée par les hommes. Je me suis niée pour essayer de me faire accepter, par des gens qui au final ne m’acceptaient de toute façon pas. Assez récemment, j’ai décidé de dire stop. J’ai mis tellement de temps à accepter mon attirance pour les femmes, je n’allais pas nier mon attirance pour les hommes.
Après ces épisodes, j’ai retéléchargé Tinder et je suis, à nouveau, tombée sur une femme qui m’a demandé si j’avais déjà couché avec une femme. À chaque fois, on te demande ton CV. Vous pouvez juste arrêter de me poser cette question ? On peut en parler, mais j’en parlerai si j’en ai envie et quand j’en ai envie. J’ai changé mon état d’esprit, j’ai arrêté de m’excuser — que ce soit de ne pas être "100 % lesbienne" ou de n’avoir jamais couché avec une femme. Donc non pour l’instant pas, et je ne vais pas juste le faire pour pouvoir dire que je l’ai fait. Je le ferai avec une personne bienveillante et qui saura accepter mon rythme, mon identité et mon histoire. Ça a complètement changé le narratif, je n’étais plus dans l’attente qu’on me donne ma chance ; je suis enfin devenue actrice de ma propre vie.


@sorcellerie.capillaire a son salon de coiffure inclusif à Vevey, pour prendre RDV cliqué sur le bouton en bas.
« Mon prof nous a annoncé qu’il allait faire des prix non genrés […] quand j’étais en première ou en deuxième année d’apprentissage et je me suis dit c’est ça le futur. »
L’envie de devenir coiffeuse indépendante était présente depuis longtemps, mais c’est un concours de circonstances qui a fait qu’il y a 6 mois j’ai fini par sauter le pas. J’ai beaucoup de personnes qui viennent parce que je pratique des prix non genrés. Des hommes cis’ avec les cheveux courts et des femmes cis’ avec des cheveux longs, ça ne change rien pour eux, je ne suis ni plus cher, ni moins cher qu’un autre salon, mais ils viennent pour soutenir le mouvement. J’ai beaucoup de personnes queers, des hommes, des femmes trans ou des personnes non-binaire qui viennent pour éviter de mauvaises expériences vécues dans des salons classiques comme se faire mégenrer, que le.a coiffeur.se ne fasse des commentaires mal placés sur le choix de la coupe ou refuse carrément de la faire parce que ça ne correspond pas aux normes de genre assignées à la naissance. La formation que j’ai reçue à la base et le monde de la coiffure sont malheureusement truffés — implicitement ou explicitement — de normes de genre qui vont conditionner ce qui est considéré comme beau, à la mode et acceptable.
C’est mon rôle de coiffeuse d’accompagner mes client.e.x.s dans leurs envies et leurs besoins capillaires, sans jugement et sans poser de questions indiscrètes sur l’identité de genre et/ou l’orientation sexuelle. La coiffure est un moment de bien-être et on ne peut pas en profiter si on n’est pas détendu et en confiance. J’essaye de faire en sorte qu’un RDV soit agréable et que la personne ressorte en se sentant bien ; faire ce qu’elle veut sans imposer, sans assigner.
Ça porte ces fruits de montrer la personne que tu es au fond parce qu’il y a des gens qui vont se reconnaitre et se sentir safe de venir te voir. Je suis hyper contente, je n’ai pas toujours eu confiance en moi et voir qu’en fait mes idées sont bonnes et qu’elles répondent à un réel besoin est un vrai plaisir.
« Finalement, quand tu te renies qu’est-ce qui peut encore faire sens ? »
En cours, il y a pas mal d’insultes homophobes qui volent, ça fait se sentir pas à ta place. J’en ai parlé au bureau de l’égalité qui m’a un peu renvoyé à mon problème en me disant : « mais vous voulez que je fasse quoi ? ». Il y’avait pas de propositions, ni de solutions.J’ai envie de faire plein de choses, d’ arborer une expression de genre plus fluide, mettre du vernis ou de l’eyeliner. Aller l’acheter c’est un chose, le porter en cours une autre.Je me réjouis de cette Pride @genevapride2023, ma première : je vais pouvoir me lâcher. Ça me stresse un peu d’embrasser ces parties de moi qu’on m’a appris à rejeter depuis petit. J’ai vécu dans une famille hyper religieuse, je priais quand j’étais gosse de ne pas être gay. On m’a inculqué ce rejet de soi. Maintenant, je suis en train de gratter cette espace qui m’appartient à l’intérieur de moi et dans l’espace public. Ma prise de conscience concernant tout ça est récente. C’est un voyage d’apprendre à être là en entier et à prendre sa place sans compromis. Finalement, quand tu te renies qu’est-ce qui peut encore faire sens ?J’adore les mots d’Alok @alokvmenon qui dit que l’amour est bien plus puissant que la haine. La colère et le rejet proviennent d’une blessure, comme tu ne veux plus avoir mal, tu ne veux pas être troublé.e, tu réagis. Les gens qui ont tant de haine envers les autres sont dans un mal-être énorme. Cette réflexion n’excuse pas ces comportements, mais ça nous permet de nous décharger de l’illusion que c’est nous le problème, ce sont ces personnes qui ont quelque chose à régler avec elle-même. Ça permet de rendre la responsabilité des émotions et des actions queerphobes aux personnes qui les perpétuent. Découvrir des espaces où il y a des personnes queer ou déconstruites m’a ouvert les yeux. Partager mon témoignage s’inscrit dans une série d’actions et de réflexions qui sont nées d’une envie, d’un besoin de partager des discussions, des activités, des rires, de la tendresse même. J’ai aussi créé une assoc’ dans mon université. Premier apéro, salle comble, ça m’a rendu émotionnel, j’étais loin d’être seul. [On parlait coming-out] c’est assez fou de se dire qu’on passe par là, je pense que c’est important de plus le valoriser et le célébrer. C’est un truc de ouf qu’on fait, c’est une si belle preuve d’amour envers nous-mêmes — en tout cas c’est comme ça que je l’ai vécu.


« être entouré·e de gens queer m’a aidé. »
L’art m’a beaucoup nourri dans un moment de questionnement et de besoin de me reconnecter à moi. J’ai peint en souhaitant que les couleurs déposées sur la toile m’aident à comprendre qui je suis. Lorsque j’ai regardé le canevas, j’ai eu le déclic final : je suis agenre. En parallèle, l’influence positive et les connaissances de mon partenaire qui est non-binaire m’ont permis de mettre des mots sur cet aspect de mon identité. J’ai aussi commencé à venir à @Vogay et je me suis directement senti·e en sécurité et à l’aise de m’ouvrir. Être entouré·e de gens queer m’a aidé et j’aimerais bien en rencontrer d’autres.
J’aimerais m’habiller de manière plus androgyne, mais je n’ose pas encore le faire dehors. Une fois, j’ai essayé une jupe, mes jambes étaient libres, je l’ai fait virevolter en tourant sur moi-même, j’ai eu des frissons, je me suis senti·e belle ; d’autres jours j’adore les jeans.
J’aimerais aller à ma première Pride, mais je ne suis pas encore ultra confiant·e, j’ai peur de ne pas trouver ma place, de ne pas être perçu·e comme "assez" queer ; c’est quelque chose qui me blesserait terriblement. En plus, aller et être dans une manifestation n’est pas anodin pour moi. Mes neuro-particularités* sont invisibles et gérer mon quotidien demande une attention et une énergie particulières. Une difficulté supplémentaire de mon quotidien, c’est que les gens ne comprenaient souvent pas que je fonctionne différemment et mes besoins peuvent être banalisés. C’est aussi pour toutes ces raisons que je voudrais aller à la Pride avec un groupe où on sait qu’en cas de besoins on peut compter les un·e·s sur les autres.
Ce sont les combats comme l’écologie et le social qui me portent le plus, en ce moment je participe aux activités de l’association @agissons_suisse. Je ne veux pas rester immobile face à ce qui se passe dans nos sociétés, j’ai envie de vivre dans un monde en paix, de pouvoir bien vivre. J’invite les gens à se poser la question d’est-ce que ce qui se passe en termes de guerre, de racisme, d’homophobie et transphobie est juste ?
*terme choisi par Ev qui lui convient plus que « neuro-divergent·e » ou « neuro-atypique ».